mercredi 21 mai 2014
vendredi 9 mai 2014
Femmes collectionneuses d'art et mécènes, de 1880 à nos jours
Composition : S. Le Dantec |
Julie Verlaine, Femmes collectionneuses d'art et mécènes, de 1880 à nos jours, Paris, Hazan, 2014, 288 p.
Y
a-t-il une manière féminine de collectionner ? Une collection d’art
peut-elle avoir un genre ? Cet ouvrage présente la première synthèse
historique jamais publiée sur les femmes collectionneuses et mécènes d’art en
Occident depuis la fin du xixe siècle
jusqu’à nos jours. Il comble les lacunes de la bibliographie consacrée aux
collectionneurs en prenant comme grille de lecture principale la notion de genre.
Constatant que les pratiques féminines de collection, d’exposition et de
mécénat sont profondément méconnues, l’auteur entend à la fois expliquer cette
lacune et démonter les a priori culturels et politiques qui aboutissent à
occulter le rôle des grandes figures féminines dans le champ artistique.
Dans
la lignée des travaux de Griselda Pollock et Roszika Parker sur les femmes
artistes, Julie Verlaine remet en question la construction sexuée des
représentations et des pratiques dans le domaine de la collection d’art. En
faisant la part belle aux collectionneuses européennes, elle entend par
ailleurs reconsidérer la place de premier plan donnée aux collectionneuses
américaines, bien connues grâce au récent ouvrage de Dianne Sachko MacLeod (Enchanted Lives, Enchanted Objects: American Women Collectors and the
Making of Culture, 1800-1940, 2008). Deux publications
allemandes (Britta Jürgs, Sammeln nur um
zu besitzen, 2000 ; Uwe Fleckner et
al., Kunstsammlerinnen:
Peggy Guggenheim bis Ingvild Goetz, 2009) et une britannique (Charlotte Gere et Marina Vaizey, Great Women Collectors, 1999) ont bien esquissé des portraits individuels de
collectionneuses d’art, allant de la Renaissance à nos jours, mais sans
présenter une vision synthétique de cette histoire au féminin.
Comparant les pratiques par-delà les
frontières, plusieurs chapitres thématiques analysent les principales
évolutions du collectionnisme au féminin : la progressive émancipation
juridique et économique, le rapport avec la demeure privée, puis avec le musée
ouvert au public, les milieux sociaux et les goûts artistiques – du vase
chinois à l’art conceptuel en passant par l’étape essentielle du surréalisme.
La période considérée s’étend de la fin du xixe siècle,
qui voit la fin du modèle aristocratique du mécénat et de la commande, jusqu’à
la période contemporaine, où les notions mêmes de collection, d’art et
d’Occident paraissent proches de l’éclatement. La progression, chronologique,
montre que l’émancipation des femmes dans les sociétés occidentales peut se
lire à travers l’histoire de leurs collections d’art, outil puissant de
libération culturelle et d’affirmation de soi.
Alternant
avec ces mises au point, plusieurs portraits singuliers retracent l’itinéraire
biographique et esthétique de collectionneuses remarquables, parmi lesquelles
Nélie Jacquemart, Hélène Kröller-Müller, Helena Rubinstein, Marie Laure de
Noailles, Peggy Guggenheim ou encore, plus près de nous, Dominique de Ménil ou
Ingvild Goetz. Cette galerie de portraits révèle l’extrême diversité des
personnalités et des motivations.
Abondamment
documenté grâce à un recours systématique aux documents d’archives, confrontant
approche contextuelle et biographique, cet ouvrage démontre l’impérieuse
nécessité de procéder à une réévaluation de l’action des collectionneuses
d’art, s’agissant du soutien à la création vivante, du progrès de la
connaissance artistique et surtout de la patrimonialisation des chefs-d’œuvre
de l’art depuis 1880.
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